Projet de loi droit d'auteur : le bétisier de fin d'année

Je n'ai pas eu le temps de poster des billets sur mon blog ces derniers temps, étant fort occupé par la préparation du projet de loi DADVSI (« droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information ») et les débats à l'assemblée nationale. La petite trève des confiseurs laisse un peu de temps pour revenir sur quelques éléments qui auraient pu faire l'objet d'une mare aux canards. Qui gagnera la noix d'honneur ou franchira le mur du çon ?

En étant le plus parfaitement objectif possible, on ne peut que constater que les conditions dans lesquelles le gouvernement (et notamment le ministre de la Culture) a mené ce projet de loi depuis décembre 2002 est inacceptable d'un point de vue démocratique. Le ministère n'a fait que le jeu des majors, a méprisé les droits des artistes, du public et a consciencieusement ignoré les informations sur les conséquences économiques et sociales du projet de loi.

Ainsi, le gouvernement a imposé la procédure d'urgence juste avant Noël (une lecture dans chaque chambre et une commission mixte paritaire) de façon totalement injustifiée. Le gouvernement pensait sans doute profiter de cette période où peu de députés sont présents (car traditionnellement ils profitent des fêtes pour faire le tour de leur circonscription). Mais le piège s'est retourné contre le gouvernement, qui a pris le rôle de l'arroseur arrosé. Peu de députés étaient présents, mais des députés motivés qui ont su dépasser les clivages partisans habituels.

Les débats à l'assemblée nationale ont pu paraître chaotiques à certains mais ils réconcilient ceux qui doutaient de l'importance du travail parlementaire.

En septembre 2003, après le vote des parlementaires européens sur la directive brevets logiciels (vote qui inversait le sens de la directive voulue par la commission européenne) un lobbyiste déclarait :

« Cela peut paraître peu démocratique, mais on peut soutenir que les amendements proposés montrent que les questions débattues sont trop complexes pour qu'on les laisse entre les mains du Parlement européen, qui peut difficilement avoir une expertise approfondie sur le sujet des brevets ».

Certains composants du gouvernement ont montré qu'ils ne sont sans doute pas loin de penser la même chose. L'assemblée nationale, comme le parlement européen, a montré qu'on ne peut impunément mépriser des élus.

On ne peut que se réjouir que la mobilisation citoyenne et l'investissement de beaucoup dans l'information des députés ait conduit à ce débat historique.

Outre le fond du débat, de nombreux députés ont été indignés par l'évidente impréparation du ministre de la Culture, qui n'avait visiblement même pas lu le projet de loi. Ajouté à cela un cabinet peuplé d'incompétents, de malhonnêtes et sous influence. Le cabinet du ministre de la Culture est reconnu comme étant l'un des plus faibles qui ait existé.

Le Canard Enchaîné, s'il avait suivi ce dossier, aurait pu remplir des pages de sa mare aux canards. Citons juste quelques exemples:

  • le mépris de certains membres du cabinet à l'encontre des parlementaires. Ainsi le directeur de cabinet qui aurait traité une député de « sous député » car elle était suppléante. Il se serait fait sortir par le col par un « vieux » député UMP excédé.
  • lors de la tentative de remise de la pétition EUCD.INFO nous rappelons à Marc Hérubel, conseiller technique « Nouvelles technologies, multimédia, droits d'auteur », le refus du ministère de la Culture d'accorder un siège au CSPLA à la FSF France depuis trois ans. Celui-ci nous répond que le CSPLA n'est pas là pour accueillir tous les groupuscules.
  • l'invitation des entreprises du logiciel libre le soir à 19h pour le lendemain à 12h alors que le débat a déjà commencé et que le ministre est déjà mis en cause pour un manque de concertation fleure bon l'amateurisme et l'improvisation. Les entreprises se verront proposer un amendement sur l'interopérabilité négocié à la va vite.
  • un conseiller technique qui fait des petits dessins sur son carnet pendant toute une réunion.
  • présentation aux députés UMP pendant une dizaine de minutes seulement du projet de loi, qualifié de projet « modeste » par le rapporteur, Christian Vanneste.
  • un assistant d'un député UMP qui dit « j'ai honte de mon parti ».
  • les mensonges répétés du ministre de la Culture sur la riposte/réponse graduée, qui n'est pas contrairement à ce qu'il dit une première étape évitant la pénalisation. C'est une possibilité offerte aux majors de fliquer le citoyen. Et pourtant, de nombreux députés UMP pensaient que c'était une première étape obligatoire avant la pénalisation. Une fois l'entourloupe découverte, certains en tireront les conséquences. Décidément, à l'UMP on ne sait pas différencier l'utilisation intelligente d'internet et son utilisation abusive (on se rappelle du SarkoSpam).
  • Martin Rogard, conseiller technique au ministère de la Culture, qui indique que le logiciel libre n'est concerné qu'à la marge par le droit d'auteur. Un leçon de droit ne lui ferait pas de mal.
  • un amendement de sept pages censées mettre en place la réponse graduée qui tombe le mardi soir alors que le projet de loi fait déjà l'objet de deux motions (irrecevalité et renvoi en commission). Cet amendement ne sera discuté qu'une trentaine de minutes par la commission des lois, alors que cet amendement met en place un tribunal administratif d'exception et transfère une part des pouvoirs régaliens de l'État à des acteurs privés (voir le communiqué d'IRIS). Bayrou se fâchera d'ailleurs tout rouge à ce sujet, ce qui est à souligner :)
  • aucun suivi du dossier à Matignon entre les cabinets des différents premier ministres. Ainsi il n'existe aucun dossier sur ce qui a été fait par le précédent cabinet.
  • le ministre de la Culture invite Virgin et la Fnac à faire leur pub à l'assemblée nationale, avec des badges « ministère de la Culture ». Cette « démonstration » sera stoppée par le président de l'assemblée nationale.
  • Marc Hérubel qui reconnaît dans son bureau qu'il sera impossible de lire un DVD avec un logiciel libre et qui prétend le contraire devant la presse.
  • les mensonges du ministère de la Culture sur son site, qui spamme en outre des internautes (voir le billet de Bertrand Lemaire ).

Ce petit florilège n'est malheureusement pas exhaustif.

Malgré tout (et peut-être grâce à tout ça) les lignes politiques ont bougé, les votes ont dépassé les clivages habituels, on aurait presque dit de l'intergroupe à l'assemblée nationale.

Le report de l'examen du projet de loi devient impératif. La mission d'information parlementaire demandée depuis des mois par la gauche doit être créée. Ce projet de loi mérite un vrai débat impliquant tous les acteurs, pour apporter des réponses mûrement réfléchies.

Le ministre de la Culture pourrait profiter de ce temps pour lire enfin son projet de loi et pour octroyer quelques promotions bien méritées comme on dit dans ces milieux.

Ces quelques jours à l'assemblée ont été l'occasion d'un vrai débat démocratique et montrent que faire de la politique peut faire bouger les choses.

Rien n'est jamais perdu tant que ce n'est pas perdu. Il faut se battre. Après le rejet de la directive sur les brevets logiciels voici le second camouflet de l'année porté aux tenants du verrouillage de l'accès à l'information et à la culture.

« Une idée animée par le génie et portée par la passion est plus forte que tous les éléments réunis et toujours un homme avec sa petite vie périssable peut faire de ce qui a paru un rêve à des centaines de générations une réalité et une vérité impérissable. » - Stephan Zweig

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